Sur fond de rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, la crise entre les pays de la Péninsule Arabique ne s’atténue pas. Alors que les relations diplomatiques entre le Qatar d’un côté et l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis de l’autre sont toujours extrêmement tendues, les révélations concernant des opérations d’espionnage dans la région confirment les divisions entre les monarchies pétrolières.

 

De l’intérêt de la justice pour NSO Group

Une affaire d’espionnage d’ampleur vient d’être portée au grand jour par le New York Times. Des gouvernements, dont celui Émirats Arabes Unis, auraient utilisé Pegasus, un logiciel espion élaboré par l’entreprise israélienne NSO Group, à des fins d’espionnage politique. Pegasus, utilise le phishing pour infecter un smartphone : un SMS alléchant est envoyé à la cible, qui lorsqu’elle l’ouvre permet à un logiciel espion (spyware) de s’installer sur l’appareil à l’insu de son propriétaire. Le spyware logiciel permet d’accéder aux informations stockées dans le smartphone et d’enregistrer les communications téléphoniques émises par celui-ci.

Réputé dans le monde du cyber sécurité pour ses logiciels espions, l’éditeur israélien est aujourd’hui médiatisé pour ces accusations de complicité avec des gouvernements désireux d’espionner leurs opposants politiques. NSO Group fait l’objet de deux attaques en justice, en Israël et à Chypre, déposés par un citoyen qatari et des activistes mexicains, tous épiés par Pegasus, qui accusent l’entreprise de d’avoir activement participé à des opérations illégales d’espionnage. Les documents fournis par ces instructions judiciaires ont servi de base à l’enquête du New York Times à l’origine des récentes révélations.

« 159 membres de la famille royale du Qatar » espionnés

Selon les journalistes du New York Times qui ont eu accès aux dossiers des procès menés contre l’entreprise, les Émirats Arabes Unis auraient fait appel à NSO Group pour mettre des dirigeants étrangers sous surveillance. Certains emails divulgués dans les dossiers montrent que les Émiratis ont cherché à intercepter les appels de l’émir du Qatar, cela dès 2014.

Le 15 juin 2017, soit 10 jours après le début du blocus du Qatar qui avait pour objectif d’asphyxier financièrement le pays, les Émiratis demandent la mise sur écoute de « 159 membres de la famille royale qatari, des fonctionnaires, et d’autres » grâce à Pegasus. « Votre honneur, nous avons, selon vos instructions, regardé les éléments des téléphones Q [comme Qataris] ciblés » révèle un email écrit par un assistant du prince Khalid bin Mohammed, le chef des services de renseignement émiratis et fils du nouvel homme fort du pays, le prince héritier Mohammed bin Zayed.

Les Émiratis auraient également tenté d’intercepter les appels du prince saoudien Mutaib Ben Abdallah, qui aurait pu prendre le trône à la place de leur favori Mohammed Ben Salame. Le premier ministre libanais Saad Hariri, parfois accusé de laxisme vis-à-vis du Hezbollah, aurait lui aussi été espionné. Il semble enfin, que la première utilisation de Pegasus par les Émirats Arabes Unis visait dès 2016 le militant défenseur des Droits de l’Homme Ahmed Mansoor, emprisonné un an plus tard et condamné à 10 ans de prison.

Ces révélations mettent en avant le réchauffement des relations entre Israël et les Émirats Arabes Unis. En effet, les autorités israéliennes considèrent Pegasus comme une arme à part entière, dont la mise à disposition à une puissance étrangère nécessite l’aval du Ministère de la Défense. Alors que les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques, leurs positions convergent progressivement depuis des années, notamment en termes économiques et géostratégiques.

Une région sous haute tension

L’affaire NSO témoigne de la montée en puissance des entreprises privés de sécurité proposant des produits et services de plus en plus sophistiqués pour quelques dizaines de millions de dollars. Les gouvernements et organisations n’ayant pas les capacités nécessaires à développer de telles solutions peuvent désormais faire appel à d’influentes sociétés privées pour obtenir l’accès à des solutions qui étaient naguère l’apanage des grandes puissances il y a encore quelques décennies.

Nul doute que cette affaire d’espionnage attisera la crise qui divise actuellement les monarchies du Golfe. Les tensions s’accroissent et s’installent durablement dans une zone divisée entre les puissances iranienne et saoudienne, restreignant la liberté d’action des pays qui refuseraient de s’aligner sur l’un ou l’autre de ces pôles.

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Eva, journaliste avec 15 ans d’expérience dans des médias prestigieux comme Masa Journey et Upsider, est diplômée de l’Université de Tel Aviv et de la Sorbonne. Elle apporte un regard aiguisé sur les tendances entrepreneuriales, enrichissant chaque article d’analyses captivantes. Contact : [email protected].

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